En 2023, près de 3000 pénuries de médicaments ont été signalées au Canada. Soit plus de 20 % des produits homologués au pays, révèlent des données obtenues par La Presse.
« Ça fait 10 ans que le Canada subit des pénuries sans arrêt. C’est vraiment incroyable. C’est surréel de voir la quantité de produits qui deviennent constamment en situation critique et tombent en pénurie », lance Jean-François Bussières, professeur de clinique à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et ancien chef du département de pharmacie du CHU Sainte-Justine.
En date du 29 décembre, 2975 pénuries de médicaments avaient été signalées au Canada en 2023. Alors qu’autrefois, on composait avec des pénuries de médicaments occasionnelles, celles-ci posent désormais un défi quotidien, souligne M. Bussières.
Aujourd’hui, dans un gros département de pharmacie [d’un hôpital], il y a quasiment une personne à temps plein qui s’occupe de ça.
Jean-François Bussières, professeur de clinique à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal
De 2017 à aujourd’hui, 1878 des 9343 médicaments vendus sur ordonnance ont été frappés par une pénurie en moyenne chaque année, selon les données de Santé Canada obtenues par La Presse. C’est plus d’un médicament sur cinq.
Pas moins de 20 % du temps de travail d’un pharmacien est consacré à la gestion des pénuries de médicaments, selon l’Association des pharmaciens du Canada. Ça implique notamment d’informer les patients et les équipes de santé, de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement et d’élaborer des solutions de rechange. « On s’assure de minimiser les impacts. Ça ne se voit pas, mais c’est énormément de travail », dit la chef de département de pharmacie du CISSS de la Montérégie-Est, Diem Vo.
Des milliers de pénuries
« Il y a énormément de pénuries, tout le temps. La pandémie a vraiment mis de l’avant la fragilité de la chaîne d’approvisionnement », dit Geneviève Pelletier, directrice principale, service pharmaceutique, à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
La durée moyenne de chaque pénurie a atteint 98 jours en 2022-2023, soit plus de trois mois, d’après les données de Santé Canada.
Ces interruptions d’approvisionnement exercent une pression considérable sur le réseau de la santé. Un bulletin d’information est envoyé deux fois par mois aux établissements de santé du Québec pour leur signaler les médicaments frappés par des difficultés d’approvisionnement. « En 2021, on avait un document de trois ou quatre pages. On a maintenant un document de 15 pages à peu près. Il y en a de plus en plus et ils sont de plus en plus préoccupants et critiques pour la clientèle », dit la présidente du Comité exécutif des acquisitions pharmaceutiques (CEAP) de la Table des chefs de département de pharmacie, Diem Vo.
Qui plus est, certains s’inquiètent de voir les autorités américaines permettre à certains États d’importer des médicaments au sud de la frontière, à commencer par la Floride qui a reçu le feu vert vendredi.
« Le Canada ne peut tout simplement pas fournir des médicaments à la Floride, ou à tout autre État américain, sans augmenter considérablement le risque et la gravité des pénuries de médicaments au pays », s’est alarmé dans un communiqué le président par intérim de Médicaments novateurs Canada, un groupe d’intérêts représentant des entreprises pharmaceutiques, David Renwick.
Pour sa part, le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, s’est voulu rassurant. « Je tiens à assurer [aux Canadiens] qu’ils continueront à avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin », a-t-il déclaré, ajoutant que des « réglementations strictes pour protéger l’approvisionnement » sont en place.
Santé Canada a précisé par la suite que des règlements ont été mis en œuvre en vertu de la Loi sur les aliments et drogues afin « d’interdire la vente de certains médicaments destinés au marché canadien en vue de leur consommation à l’étranger si cette vente risque de provoquer ou d’aggraver une pénurie de médicaments au Canada ». « L’importation en vrac ne constituera pas une solution efficace au problème des prix élevés des médicaments aux États-Unis », a également affirmé le Ministère.
Des impacts pour la population
Mathé-Manuel Daigneault doit malgré lui composer avec les conséquences de la pénurie récurrente de testostérone injectable, un traitement utilisé par de nombreux hommes trans.
« J’en prends depuis bientôt 10 ans et j’ai perdu le compte du nombre de ruptures de stock vécues pendant ce temps », confie-t-il. Certaines des pires pénuries ces dernières années se sont étirées sur plusieurs mois.
Ces pénuries impliquent de passer d’une sorte de testostérone à une autre. « Or, certains réagissent mal à une des deux solutions », dit-il. C’est son cas. Il est allergique à l’un des deux produits disponibles. Il n’est d’ailleurs pas rare que la pénurie de l’un soit rapidement suivie par la pénurie de l’autre, alimentée par une hausse de la demande.
« Il y a bien l’option du gel ou des [timbres], mais leur prix est beaucoup plus élevé, sans compter la nécessité d’appliquer quotidiennement le gel et les risques de transmission de dose à toute personne avec qui nous aurions un contact peau à peau dans les heures qui suivent l’application », dit-il.
À la recherche de solutions de rechange
Dans l’ombre, les pharmaciens s’efforcent d’atténuer les répercussions sur la population, notamment en s’assurant du suivi serré avec les fournisseurs. Ils doivent également « aider les patients à trouver des [solutions de rechange] et gérer leurs inquiétudes », dit Mme Pelletier.
Lorsqu’il n’y a pas de solutions de rechange, les pharmaciens doivent parfois solliciter Santé Canada ou le centre antipoison pour modifier la date de péremption des médicaments jusqu’au réapprovisionnement ou l’arrivée d’une solution de remplacement, explique Diem Vo.
Les pénuries de médicaments peuvent également entraîner des coûts supplémentaires. Les traitements de substitution sont parfois plus onéreux, faisant ainsi grimper la facture tant pour les patients que pour la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), explique le directeur général de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie (AQDP), Hugues Mousseau.
Carole Chapdelaine fait face à cette réalité depuis septembre. Le stylo Ozempic de 4 mg qu’elle utilise chaque mois est en rupture de stock. Elle se voit donc obligée d’acquérir deux stylos de 2 mg pour la même période. Les stylos étant au même prix quelle que soit la dose, le coût de son traitement est passé de 238 $ par mois à 476 $ par mois. « Je suis outrée que la compagnie pharmaceutique profite de la pénurie qu’elle cause. C’est honteux », déplore-t-elle.
Avec la collaboration de Vincent Larin, La Presse
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- Proportion des Canadiens qui a personnellement vécu une pénurie de médicaments ou connaît quelqu’un qui y a été confronté
Source : Association des pharmaciens du Canada -
Un médicament sur cinq en rupture de stock | La Presse - La Presse
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