Qu’est-ce qui attire Rio Tinto à la Baie-James au point de s’engager à y investir 65 millions dans une poignée de propriétés minières dans les prochaines années ? Corvette et Adina constituent les clés pour comprendre l’engouement pour le Grand Nord.
En raison de son éloignement et de son climat hostile, le Nord-du-Québec est une région dont le sous-sol demeure en bonne partie sous-exploré. Ce qu’on connaît toutefois est prometteur.
On y a déjà découvert des diamants (mine Renard) et de l’or (mine Éléonore). On y a aussi trouvé de l’uranium (Matoush).
Dernièrement ce qui fait courir les géologues au nord du 50e parallèle, c’est le lithium, minerai servant à la fabrication des cathodes, le pôle positif des batteries lithium-ion d’une voiture électrique. Et pour cause, la région a été le théâtre de deux découvertes majeures.
Premier nom à retenir, c’est Corvette. Il s’agit d’une propriété, située à 40 kilomètres de la centrale LG4, appartenant à la société Patriot Battery Metals (PMET, à Vancouver, 17,53 $).
« Patriot a trouvé une série de pegmatites [roches magmatiques] qui semblent très larges qu’ils sont en train de forer. Il semble y avoir des teneurs assez intéressantes. Ça semble quelque chose de majeur. Le temps nous le dira », dit Éric Lemieux, analyste minier indépendant, qui se spécialise dans les sociétés d’exploration.
Sur une distance de 2,2 kilomètres, Patriot a en effet obtenu des échantillons d’une teneur moyenne de 1 % et plus de lithium à une vingtaine de reprises durant la campagne de forage 2021-2022. Certains échantillons ont une teneur de 5 % de lithium sur une distance de 15 et de 20 mètres.
« Une teneur moyenne de 1 % en lithium attire l’attention », explique, pour sa part, Gino Roger, président et chef de la direction d’Exploration Midland qui vient de conclure une entente de 65 millions avec Rio Tinto pour explorer des propriétés de lithium. Ensuite, il faut que l’étendue soit significative, sur des dizaines de mètres ou, encore mieux, sur des centaines de mètres.
« Quand la vague de lithium a commencé à grossir, Patriot est arrivée avec un projet d’exploration avec du potentiel, mentionne Éric Lemieux. Le timing était juste parfait. L’action est partie à la hausse, de 0,30 $, le 25 novembre 2021, à au-dessus de 10 $, à partir du 20 janvier 2023. C’est une méchante amplitude », souligne-t-il.
En 2021 et 2022, le Québec a connu deux très bonnes années en exploration, avec des dépenses tournant autour du milliard de dollars, rapporte l’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ).
La découverte de Patriot Battery de Corvette dans le secteur du lithium a automatiquement créé un engouement pour le territoire.
Guy Bourgeois, directeur général de l’AEMQ
D’après l’analyste Éric Lemieux, une trentaine de sociétés d’exploration cherchent activement du lithium dans le Nord-du-Québec.
On n’a peut-être encore rien vu. L’estimation initiale des ressources minérales du secteur CV5 à Corvette, qui intégrera les résultats des forages de l’hiver 2023, est prévue pour juillet prochain.
« On a bien hâte de voir les résultats. Si ceux-ci s’avèrent positifs, ça sera bon pour nous et ça va ajouter à l’intérêt pour la région », dit Gino Roger. Dans le domaine minier, quand on découvre un gisement sur une propriété, les voisins se mettent à creuser.
Adina, projet d’importance mondiale
Le deuxième nom à retenir est Adina, propriété de l’australienne Winsome Resources. En mai, elle a intercepté un échantillon d’une teneur de 2,25 % de lithium sur 18,7 mètres à 43,3 m de profondeur et un autre d’une teneur moyenne de 2,09 % de lithium sur 10 mètres à 35 mètres de profondeur. Une estimation initiale des ressources est attendue en 2023.
« La découverte d’une nouvelle zone de minéralisation à Adina renforce notre conviction qu’il s’agit d’un projet de lithium d’importance mondiale », a déclaré son DG Chris Evans au moment de la publication des résultats de forage.
Depuis octobre dernier, le titre de Winsome, coté à la Bourse de Sydney, est passé de 0,38 $ à 1,70 $, en dollar australien.
« On est dans une phase émergente de découvertes à l’échelle de la Baie-James pour le lithium, dit Jean-Marc Lulin, président et chef de la direction d’Exploration Azimut (AZM, à Vancouver, 1,18 $), qui détient à 50 % la propriété Galinée qui jouxte Adina. Le potentiel, pas juste chez nous, mais chez d’autres, est très encourageant. »
Bisbille sur fond de ruée vers le lithium
La course pour le lithium qui se déroule actuellement dans le Nord-du-Québec crée de la jalousie entre les protagonistes. Une société d’exploration minière bien de chez nous fait l’objet d’une campagne de dénigrement de la part d’un actionnaire de Colombie-Britannique qui zyeute ses claims situés à proximité d’une propriété ayant fait l’objet d’une découverte d’un gisement de calibre mondial. Compte rendu.
En mars dernier, le PDG de la société Coloured Ties, Kal Malhi, a publiquement demandé des changements dans la conduite des affaires d’Exploration Azimut (AZM, à Vancouver, 1,18 $), une junior québécoise active depuis 20 ans à la Baie-James.
M. Malhi, Coloured Ties et Bullrun Capital, société privée de M. Malhi, sont actionnaires minoritaires d’Azimut ainsi que d’une flopée de sociétés d’exploration actives sur le territoire du Nord-du-Québec, dont Patriot Metals, qui a découvert un gisement de lithium à la propriété Corvette.
Dans un communiqué, Coloured Ties et M. Malhi reprochent à Azimut, sa direction et son conseil d’administration de s’asseoir sur ses claims miniers couvrant un large territoire et de laisser ses voisins faire le coûteux travail d’exploration. Cette stratégie attentiste se reflète sur le prix déprimé de l’action d’Azimut, selon eux.
La direction a démontré un manque de capacité à comprendre les actifs minéraux critiques d’Azimut et à déployer des pratiques commerciales raisonnables pour explorer ces actifs.
Extrait d’un communiqué de Kal Malhi et ses sociétés
Tout en dénonçant l’absence de dialogue de la part d’Azimut et de son chef de la direction Jean-Marc Lulin, les contestataires ont exigé un changement du modèle d’affaires et ont réclamé deux sièges au conseil de la québécoise, sans succès.
Cotée en Bourse, la société Coloured Ties (TIE, à Vancouver, 0,94 $) investit dans des sociétés d’exploration en phase de démarrage, offrant, soutient-elle, la possibilité aux boursicoteurs d’investir dans des projets en amont généralement offerts seulement à des investisseurs fortunés ou institutionnels.
Fin de non-recevoir
Du côté d’Azimut, on considère que le prétendant est déçu de ne pas avoir pu acquérir les propriétés qu’elle convoitait.
« La nature de ce qu’ils allèguent n’a pas de fondement. Ils disent qu’on a refusé de dialoguer et ils considèrent qu’ils ne sont pas assez informés sur ce qu’on va faire. Pour ces deux éléments, c’est factuellement inexact », soutient dans un entretien Jean-Marc Lulin, président et chef de la direction d’Azimut.
Selon celui-ci, les actionnaires mécontents ont entrepris des discussions en vue d’acquérir deux propriétés lithium (Pikwa et Galinée) qu’Azimut détient de concert avec la SOQUEM (Société québécoise d’exploration minière, filiale d’Investissement Québec, bras investisseur du gouvernement provincial).
Pikwa est en continuité immédiate d’une découverte en lithium majeure sur la propriété Corvette, par Patriot Battery Metals, tandis que Galinée est voisin d’Adina, appartenant à Winsome Resources.
« M. Malhi a le droit de nous approcher pour acquérir des projets. On est en discussions avec un certain nombre de sociétés et de partenaires potentiels dont lui faisait partie.
« M. Malhi avait une démarche très insistante, le mot est faible, de forcer un deal avec Azimut. Ce n’est pas une approche en soi que l’on considère comme intéressante. On ne peut être forcé à signer avec quelqu’un si on pense qu’il y a d’autres opportunités qui sont meilleures. »
Détenteur de près de 18 000 claims
Azimut se targue d’avoir le portefeuille principal d’exploration minière au Québec avec 28 principaux projets totalisant près de 18 000 claims, principalement dans la région de l’Eeyou Istchee Baie-James. Elle dépense en exploration au-dessus de 10 millions annuellement. Au fil des ans, Azimut a conclu 33 partenariats avec 19 sociétés distinctes, dont 3 alliances stratégiques avec Rio Tinto et 6 projets avec la SOQUEM.
Exploration minière | Deux noms pour comprendre la ruée vers la Baie-James - La Presse
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