Le local qui a pignon sur rue sur la Plaza Saint-Hubert a des airs de fourmilière. On s’y affaire à démonter un grille-pain, un mousseur à lait et un autocuiseur pour en révéler les labyrinthes de fils et de fusibles. À l’entrée, un homme s’apprête à partir, sa bouilloire rescapée sous le bras.
Chaque fois qu’on répare, on apprend
, lance Gilles Parent, qui prend le soin de jumeler les nouveaux venus aux bénévoles disponibles, électriciens de formation ou hommes à tout faire en quête de solutions.
Ce que dit Gilles vaut autant pour les réparateurs que pour les citoyens qui frappent à la porte du Repair Café. Ces ateliers de réparation collaboratifs permettent à tout un chacun de redonner vie à un appareil défectueux grâce aux conseils avisés des membres de ce projet.
Mis à part les gros électroménagers et les téléphones cellulaires, à peu près tout peut y être réparé. Les bonnes journées, le taux de réussite s'élève à près de 80 %, selon Gilles Parent.
Un des réparateurs, penché au-dessus des entrailles d'un réchaud en compagnie d'un père et de son jeune fils curieux, explique que les appareils reçus sont pour la plupart récents. Venir au Repair Café, c’est faire un pied de nez à l’industrie qui appelle à acheter des appareils dont la durée de vie se fait de plus en plus courte.
Alors que le nombre de Repair Cafés au pays est passé de 15 en 2016 à plus de 50 aujourd’hui, ils s’inscrivent à contre-courant des habitudes observées chez les Canadiens, qui se débarrassent de leurs appareils plutôt que de les faire réparer.
La réparation, une option peu envisagée
Selon la première étude pancanadienne sur l'accès à la réparation, menée par Équiterre, 18,6 % des Canadiens dont l'un des appareils s'est brisé ou est tombé en panne se sont tournés vers la réparation en 2020-2021.
En outre, la majorité (61,2 %) des répondants qui n’ont pas fait réparer leurs appareils brisés ont indiqué n’avoir même pas envisagé cette option.
En comparant ces résultats avec des données de 2018 récoltées au cours d'une étude sur l'obsolescence programmée, Équiterre a constaté que le recours à la réparation a diminué au Canada.
C’est une tendance préoccupante parce qu’on constate qu’il y a une perte du réflexe de la réparation
, explique Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre et cofondatrice de la Coopérative zéro déchet Incita.
Parmi les répondants qui ont acquis de nouveaux appareils, 55,9 % ont dit s'être procuré un appareil électroménager en 2020-2021, tandis que 44,1 % ont acheté un appareil électronique.
Au nombre des raisons évoquées par les consommateurs pour justifier ce faible recours à la réparation, il y a l'idée selon laquelle les appareils sont conçus pour être irréparables.
Cette perception, observée par les membres du Repair Café de Montréal auprès de leur clientèle, n’est pas tout à fait erronée. La conception des appareils a changé, les nouveaux modèles dits intelligents étant plus complexes que leurs prédécesseurs. Les pièces et les outils nécessaires pour les réparer sont donc hyper variables
, note Amélie Côté.
Les fabricants peuvent en outre rendre les pièces ainsi que les manuels d'instruction indisponibles après un certain temps, ou limiter leur accès uniquement aux réparateurs.
Un autre obstacle notable est le coût de la réparation. Si ça coûte 50 % du prix d’achat, voire le même prix, [les gens] vont acheter un appareil neuf plutôt que de le faire réparer
, souligne-t-elle.
Les participants à cette étude, qui démontrent malgré tout un appétit pour un accès plus facile à la réparation
, ont répondu que la réduction des coûts pour les consommateurs arrive en tête des solutions.
« On a un peu perdu le pouvoir sur nos objets en ayant peu le réflexe de la réparation et en comprenant de moins en moins comment nos appareils fonctionnent. »
Des ateliers comme ceux donnés par le Repair Café, qui font la promotion de l'autoréparation, permettent de développer ce réflexe, ajoute Mme Côté, encouragée par le fait que 29 % des personnes qui ont fait réparer leurs appareils brisés en 2020-2021 l'ont fait d'elles-mêmes.
La pointe de l'iceberg
Très populaires auprès des Canadiens, ces produits exacerbent les conséquences environnementales et socioéconomiques liées à leur production
, selon Équiterre.
On est dans un contexte d’inflation, de crise climatique, indique Mme Côté. Mais au Canada, on jette trois fois plus de déchets électroniques que la moyenne mondiale. Beaucoup de pertes économiques y sont liées.
Chaque Canadien génère en effet 20,2 kg de déchets d’équipements électriques et électroniques par année, alors que la moyenne mondiale se situe à 7,3 kg par personne.
L’objet qu’on a entre les mains ou dans notre cuisine, il est la pointe de l’iceberg de la quantité de ressources utilisées pour le produire
, poursuit l’analyste, qui appelle à repenser le système de production pour le rendre plus résilient et plus cohérent
.
La forte demande en ressources naturelles nécessaires à la production des appareils électroniques et électroménagers pourrait vider les réserves de certains minéraux critiques et stratégiques contenus dans nos AEE d’ici 2050
, indique Équiterre dans son étude.
On arrivera éventuellement à ces pénuries de matériaux [...], donc aussi bien agir dès maintenant plutôt que d’attendre de frapper un mur
, estime Mme Côté.
Pour l'instauration d'un indice de durabilité
Le droit à la réparation et l'obsolescence programmée des appareils ne sont pas définis par la loi au Canada. Certaines protections existent dans des lois en vigueur au fédéral comme au provincial, mais elles demeurent méconnues.
Au Québec, la garantie légale stipule qu'un objet doit pouvoir être utilisé pour l’usage auquel il est destiné pendant une durée raisonnable
. Toutefois, celle-ci étant variable d'un appareil à un autre, le consommateur peut se retrouver à devoir faire valoir ses droits devant les tribunaux, des démarches qui demandent beaucoup de motivation
, convient Amélie Côté.
« Le manque d'informations sur la durabilité et la réparabilité des biens est criant. »
Privé de ces informations, le consommateur n'est pas en mesure de prendre une décision éclairée
, fait valoir Équiterre. C'est pourquoi l'organisation, qui souhaite l'instauration d'un « cadre législatif fort et contraignant », propose de s'inspirer de la France en adoptant un indice de durabilité qui serait obligatoirement affiché sur les appareils électroniques et électroménagers lors de l'achat.
Équiterre suggère également que les gouvernements fédéral, provincial et municipal instaurent des mécanismes destinés à réduire les coûts pour les Canadiens au moyen d'un crédit d'impôt ou d'un fonds de réparation. Les ateliers de réparation devraient aussi être davantage soutenus, selon l'organisation.
Faute de financement, le Repair Café de Montréal, qui a amorcé ses activités en 2017, a dû fermer ses portes et changer de local en raison de la pandémie de COVID-19. L'organisme renaît peu à peu de ses cendres, selon Tanguy Marquer, l'instigateur du volet montréalais.
Recruter des bénévoles qualifiés n'est pas chose aisée et le temps qu'il faut y consacrer peut être un frein. Mais la convivialité qui règne au Repair Café encourage M. Marquer. Pas besoin d'être un expert : je n'en suis pas un moi-même!
lance-t-il. Selon lui, les gens gagneraient à se rendre compte du fait que la réparation peut être à leur portée.
Peu de Canadiens font réparer leurs appareils électroniques brisés - Radio-Canada.ca
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