Chantal Morin, une femme d’affaires de Saint-Côme, se bat contre un ennemi invisible. Chaque année, elle se fait voler des employés, principalement des travailleurs étrangers du Guatemala, qui vont après coup travailler illégalement à Montréal et même parfois aux États-Unis.
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Lorsque Le Journal la rencontre, la présidente de Pigeon 2006, une entreprise de transport de poulets, tient dans ses mains un dossier épais comme une brique.
« J’ai embauché un détective. Je voulais savoir où vont les travailleurs que je fais venir ici », lance-t-elle, dépitée.
C’est que depuis 2019, elle a perdu une quarantaine de travailleurs. Au fil de ses recherches, elle a appris qu’une taupe au sein de son entreprise fournissait des informations à des employeurs sans scrupules qui viennent chercher en catimini les travailleurs et leur promettent mer et monde.
« Je suis tannée. C’est en train de détruire mon entreprise. La semaine passée, j’ai refusé des contrats, car il me manque des employés », se désole Mme Morin qui doit payer 3000 $ pour faire venir chacun de ces hommes au Québec.
Un travailleur revient au bercail
Le Journal a rencontré Diego (nom fictif), un travailleur qui est revenu au bercail après quatre mois à galérer à Montréal.
Il explique que le transfert des travailleurs se fait toujours dans la région de Saint-Côme. Un rendez-vous est fixé dans différents endroits et les Guatémaltèques intéressés partent pour Montréal, souvent par groupe de quatre, avec l’espoir d’une vie meilleure.
Mais ils déchantent vite lorsqu’ils arrivent dans la métropole, dans les arrondissements Saint-Michel ou Montréal-Nord. Diego devait payer sa chambre 800 $ par mois et on lui disait de ne pas utiliser le fourneau, « car cela coûtait trop cher d’électricité ».
La déception au bout du chemin
« On m’avait dit que j’allais faire le double d’argent en travaillant moins. Mais finalement, je travaillais deux fois plus et je faisais moins d’argent », lance-t-il, les yeux fixant le sol.
Ce dernier a travaillé pour différentes entreprises de nettoyage industriel ou dans le secteur de l’embellissement paysager.
Déçu, il est revenu au sein de l’entreprise de Mme Morin pour permettre à ses frères de venir travailler au Canada.
« J’ai plusieurs employés qui reviennent à chaque année, certains depuis 10 ans. On reçoit beaucoup de membres d’une même famille », explique la femme d’affaires qui embauche beaucoup par références.
En attendant, cette dernière constate qu’elle n’est pas la seule dans sa situation.
« J’ai eu plusieurs discussions et toutes les entreprises se font prendre des travailleurs. On les fait venir ici et on devient une porte d’entrée pour le travail illégal. Ça devient un réel problème pour toute la chaîne d’approvisionnement », se désole-t-elle.
Le Journal confronte un employeur
Selon nos informations, un des employeurs qui fait travailler ces Guatémaltèques illégalement est Sani Future, une entreprise de nettoyage.
Lors d’une conversation téléphonique, la propriétaire a nié embaucher des illégaux.
« Non, je n’ai jamais fait cela », a-t-elle répondu.
Cette dernière a dit souhaiter nous rencontrer pour expliquer sa situation, mais elle a affirmé « être à l’extérieur du pays » avant de nous raccrocher au nez.
Ce que font les autorités dans ce dossier
Depuis plusieurs mois, Chantal Morin tire la sonnette d’alarme face au vol incessant de ses employés, mais les autorités ne semblent pas « prendre le dossier au sérieux » et ne veulent pas commenter la situation.
« Je suis découragée, je n’ai plus confiance... Que voulez-vous que je fasse ? Je vais même chercher mes employés à Montréal, ceux qui veulent revenir, mais je ne peux pas faire plus », se désole la femme d’affaires.
Si un travailleur étranger prend la fuite, elle alerte automatiquement les autorités canadiennes, et en premier lieu l’Agence des services frontaliers du Canada.
La GRC muette
Mme Morin a aussi demandé l’aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui n’a pu confirmer qu’une enquête était en cours.
« Dans l’éventualité où nous avions une enquête en cours, nous ne serions pas disposés à vous en divulguer les détails, afin de ne pas compromettre celle-ci », nous a-t-on écrit par courriel.
Le maire demande l’aide
Devant l’ampleur du problème, le maire de Saint-Côme, Martin Bordeleau, a interpellé et demandé l’aide du député bloquiste Gabriel Ste-Marie dans une lettre.
« Je fais appel à vous aujourd’hui pour une situation qui me touche beaucoup, car elle affecte un des très gros employeurs de notre municipalité », écrit le premier magistrat de la municipalité de la région de Lanaudière.
« Le corps policier local est bien au fait du dossier de même que la GRC, mais ils ont besoin d’une participation du ministère de l’Immigration dans ce dossier et nous avons la forte impression que les fonctionnaires au dossier dorment au gaz », poursuit-il.
Selon des courriels consultés par Le Journal, le bureau du député Gabriel Ste-Marie a fait des interventions et une dénonciation formelle.
Contactée par Le Journal afin de savoir ce qu’elle fait dans le dossier, l’Agence des services frontaliers a indiqué « ne pas faire de commentaires sur des cas en particulier ».
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