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Saturday, June 5, 2021

De la fierté à la honte chez les éleveurs de poulets - Le Journal de Montréal

Ma visite à une ferme de poulets de Saint-Hyacinthe, cette semaine, a provoqué chez moi un haut-le-cœur. Ce n’est pas la forte odeur de fumier qui en est la cause, mais plutôt l’idée de voir des milliers de poulets, autour de moi, finir dans un sac de poubelle.

Dans un immense bâtiment de ferme, j’ai vu un tapis blanc de 60 000 poulets inanimés. Des tracteurs équipés d’une pelle chargeaient de gros camions pour acheminer les carcasses à l’incinération. On m’a poliment demandé de ne prendre aucune photo de cette scène insupportable à regarder. 

Dans une société riche comme le Québec, en 2021, on peut se permettre de jeter aux vidanges un demi-million de poulets par semaine. On vit dans une telle abondance que cette situation n’émeut presque personne ! 

Le Journal et TVA Nouvelles ont été les premiers à documenter, dès la semaine dernière, les conséquences désastreuses du conflit de travail à l’abattoir Exceldor de Saint-Anselme, à proximité de Lévis. Mon collègue Francis Halin évoquait déjà, le 28 mai dernier, qu’il pourrait découler de cette grève le pire cas de gaspillage alimentaire dans l’histoire du Québec.  

Pour rappel, l’usine d’Exceldor transforme en moyenne un million de poulets par semaine. Sa fermeture temporaire, en raison d’une grève, a surchargé les autres abattoirs, qui ne suffisent pas à la demande. Résultat : les éleveurs québécois sont aux prises avec des poulets à maturité et ils n’ont d’autre choix que de les asphyxier et de les envoyer chez l’équarrisseur, qui va en incinérer une bonne partie. On prévoit ainsi euthanasier 400 000 poulets par semaine.  

Empathie du ministre

« Je suis passé de la fierté à nourrir les Québécois à une certaine honte. C’est honteux de gaspiller autant de nourriture », m’a confié en pleurs Alain Bazinet, qui élève plus de 100 000 poulets dans sa ferme de Saint-Hyacinthe. Ce dernier a été forcé d’euthanasier plus de 60 000 volailles cette semaine. Il demande au gouvernement d’intervenir pour forcer un retour au travail à l’abattoir et limiter les dégâts.  

À l’émission À vos affaires, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a dit qu’il avait « beaucoup d’empathie pour tous les éleveurs de volailles ». « C’est quelque chose que je vois venir depuis un certain temps », m’a-t-il expliqué cette semaine. Alors, pourquoi un tel laisser-aller ? Il y a urgence, non ?  

Grève chez Exceldor

Ne mettons pas la faute entièrement sur le dos des 600 syndiqués en grève. Ils formulent des demandes légitimes, notamment celle de prendre deux semaines de vacances consécutives après une année de pandémie où ils ont mis leur vie en danger dans un environnement risqué. Leurs patrons, chez Exceldor, offrent des augmentations salariales de 18 % sur six ans, alors que le syndicat réclame 40 % de plus sur trois ans. Le fossé est immense.  

Le ministre Lamontagne en a appelé au « sens civique » des deux parties pour éviter que le conflit de travail ne dégénère et n’engendre une pénurie de poulets au Québec. Vraisemblablement, c’est loin d’être suffisant pour régler le problème.  

D’un côté, le gouvernement dépense des millions dans des campagnes publicitaires pour sensibiliser les Québécois au gaspillage et, de l’autre, on ferme les yeux sur des centaines de tonnes de poulets jetés aux poubelles. Trouvez l’erreur !  

Un pays d’abondance

J’ai passé plusieurs semaines de mon adolescence à sillonner les quartiers pauvres de la République dominicaine dans le cadre de voyages humanitaires. Là-bas, le poulet est un animal précieux. 

Tôt le matin, près des bidonvilles de San Pedro de Macoris, les coqs dans les cours arrière nous réveillaient. Quand on vit dans l’insécurité alimentaire quotidienne, c’est un chant rassurant ! C’est un signe qu’on pourra manger, le soir venu, une cuisse de poulet accompagnée d’une purée de banane plantain salée.  

Au Québec, on euthanasie 500 000 poulets en une semaine, on les jette aux poubelles et personne ne réagit, mis à part les restaurants St-Hubert, qui s’inquiètent pour leur menu. On peut comprendre la honte que ressentent nos éleveurs.  

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