CDPQ Infra a levé le voile pour la première fois sur ce à quoi pourrait ressembler son futur « REM de l’Est », dont le tronçon aérien prévu au centre-ville de Montréal continue de soulever de vives inquiétudes dans la population et chez certains élus montréalais.
La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec compte mettre en chantier en 2023 son projet de train électrique sans conducteur, qui reliera le quartier des affaires, le nord-est et la pointe est de l’île. Ce réseau de 32 kilomètres est évalué à 10 milliards de dollars.
À la veille du début des consultations publiques sur le projet, Virginie Cousineau, directrice des affaires publiques de CDPQ Infra, a assuré que l’approche architecturale serait « complètement différente » de celle utilisée lors de la première phase du Réseau express métropolitain (REM). Le REM est juché sur d’imposants pylônes de béton dans plusieurs secteurs.
« La hauteur, la grandeur, les matériaux qui seront utilisés, rien n’a encore été décidé », a expliqué Mme Cousineau à l’occasion d’un breffage technique, mercredi matin.
Paris, Rennes, Chicago…
À la demande de La Presse, CDPQ Infra a dévoilé les métros aériens qui représentent des sources d’inspiration pour son REM de l’Est. Le groupe a cité des projets récents ou en construction à Rennes et à Paris, en France, de même qu’à La Haye, aux Pays-Bas, et à Chicago, aux États-Unis, qui traversent tous des quartiers densément peuplés.
Le réseau de train léger de La Haye, réalisé au milieu des années 2000, offre une structure hybride plus légère et des piliers de soutien plus fins que la phase 1 du REM.
Quelques sources d'inspiration de CDPQ Infra
S’il salue « l’effort architectural » de la Caisse, l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau demande encore à être convaincu. « Au minimum, une structure hybride, comme à La Haye, permettrait de diminuer le nombre de piliers au sol. On a ici un exemple d’innovation. »
Une structure en acier, comme à Chicago, serait aussi plus intéressante au centre-ville, croit M. Barrieau. « Ça nous prend une structure plus légère. Oui, ça augmenterait les coûts, mais le faire en béton, ça serait beaucoup plus pénible », dit-il. « Il y a plusieurs autres possibilités. Et on a le talent au Québec. La question reste de savoir si la Caisse est prête à pousser son enveloppe budgétaire. »
Il y a des techniques qui existent pour distribuer la charge sur un plus long axe. On peut penser à un pont à haubans, pour libérer les infrastructures au sol sur une plus longue distance.
Pierre Barrieau, expert en planification des transports
Le moment est idéal pour bonifier le projet, selon le spécialiste, alors que des consultations de CDPQ Infra s’entament jeudi dans les arrondissements.
Le président de Trajectoire Québec, François Pepin, sera de ces consultations. Pour lui, la présentation faite mercredi par CDPQ Infra n’est « pas convaincante ». « Essentiellement, on demeure avec une structure aérienne qui pourra difficilement être plus petite. Ça amène plusieurs enjeux. Il n’y a pas juste l’apparence de la structure qui compte, il y a sa présence tout court », résume-t-il.
Dans l’Est, son organisme plaide pour une structure au sol. « À partir d’Iberville, il y a beaucoup moins d’intersections. On pourrait donc penser à quelque chose comme l’antenne Deux-Montagnes, qui irait soit en dessous ou au-dessus de la chaussée à l’approche d’intersections plus importantes », souligne le président.
Blaise Rémillard, responsable Transport et urbanisme au Conseil régional de l’environnement de Montréal, déplore pour sa part que CDPQ Infra n’ait pas « cherché à éviter à tout prix l’option aérienne, qui est la plus nuisible après le statu quo ».
« C’est donc difficile pour beaucoup de monde de parler d’architecture, a-t-il dit. Et encore là, bien peu de trains aériens sont réussis au-delà de contextes spécifiques ou de courts tronçons. Le fardeau de la preuve repose entièrement sur CDPQ Infra et ce sera très difficile. »
Architecture imposée
CDPQ Infra a mandaté un comité d’une quinzaine d’experts, début mai, pour établir les grandes lignes architecturales du REM de l’Est et assurer sa bonne intégration au tissu urbain. Une première rencontre a eu lieu la semaine dernière, et deux autres se tiendront dans les prochaines semaines.
Le comité se penchera sur « l’élaboration de toute la volumétrie, les matériaux, l’architecture et le design des structures aériennes », en collaboration avec la firme Lemay, explique Virginie Cousineau.
Lemay a hérité de la conception architecturale du projet après le désistement de deux boîtes montréalaises de renom, Daoust Lestage Lizotte Stecker et STGM. Ces cabinets craignaient d’être associés à un projet qui pourrait défigurer le centre-ville de Montréal pour des décennies, a révélé Le Journal de Montréal en février.
Qu’importe l’intensité actuelle des débats, CDPQ Infra insiste : la qualité architecturale sera au cœur du REM de l’Est.
La principale différence par rapport à la phase 1 est que les « lignes directrices architecturales » seront « imposées » au moment des appels d’offres.
« Il n’y aura pas de place à l’interprétation », affirme Virginie Cousineau.
La porte-parole reconnaît que les lignes architecturales de la première phase du REM « n’étaient pas prescriptives ». Elle nie néanmoins l’idée que les citoyens habitant près de cette mégastructure aient été sacrifiés, entre autres dans les quartiers de Pointe-Saint-Charles et Griffintown. Des œuvres d’art seront installées pour enjoliver la structure de béton, a-t-elle indiqué, ajoutant que la plus grande portion du réseau longe des autoroutes ou des friches industrielles.
René-Lévesque ou rien
De nombreux aspects du REM de l’Est, qui comprendra 23 stations étalées sur 32 kilomètres, seront appelés à évoluer avec la tenue d’audiences publiques et de consultations environnementales en 2021 et 2022.
Virginie Cousineau rappelle que plusieurs éléments de la première phase du REM ont été modifiés en cours de route, entre autres après les audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Par exemple, des changements ont été faits pour protéger des milieux humides près du Technoparc.
Une chose est sûre, cependant : c’est bel et bien sur le boulevard René-Lévesque que le métro aérien traversera le centre-ville.
Sept scénarios ont été étudiés par la Caisse – incluant en souterrain –, mais aucune de ces options n’était viable, insiste-t-elle.
CDPQ Infra a annoncé mercredi le dépôt officiel de son avis de projet auprès du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, une étape concrète dans la série de consultations prévues d’ici le lancement du chantier en 2023.
La première phase du REM, un projet de 67 kilomètres qui reliera la Rive-Sud de Montréal, l’Ouest-de-l’Île et l’aéroport Montréal-Trudeau au centre-ville, doit entrer graduellement en service à partir de l’an prochain.
Plante et Coderre attendent d’en savoir plus
Au cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, on reste prudents sur le sujet. « Le comité est au fait de nos préoccupations par rapport à l’intégration architecturale et de notre extrême sensibilité sur cet enjeu », a dit le directeur des relations médias, Youssef Amane.
Nous faisons confiance au comité pour trouver une voie de passage et ainsi assurer le succès du projet.
Youssef Amane, directeur des relations médias au cabinet de la mairesse Valérie Plante
La Ville se prononcera davantage « une fois les travaux du comité terminés », poursuit-il. « D’ici là, nous devons laisser la chance au coureur. »
Le chef d’Ensemble Montréal, Denis Coderre, demande aussi à avoir plus d’informations. « Lorsque nous aurons les détails finaux, nous pourrons nous prononcer. En attendant, on nous parle de projets de maquettes et d’inspirations extérieures : laissons le temps aux spécialistes de finir leur travail », soutient-il. Pour lui, « l’essentiel est que l’intégration du REM se fasse en accord avec les citoyens et nos partenaires ». « Il faut être pragmatique au niveau du transport tout en permettant à Montréal de rayonner au niveau architectural », a ajouté M. Coderre.
C’est un projet excessivement important pour Montréal, et pour l’Est particulièrement. Nous le disons depuis les tout débuts : il doit se faire.
Denis Coderre, chef d’Ensemble Montréal
La ministre déléguée aux Transports et à la Métropole, Chantal Rouleau, a pour sa part souligné mercredi qu’il s’agissait du plus important projet d’investissement en transport collectif dans l’histoire du Québec. Elle a réitéré sa pleine confiance envers le comité d’experts qui chapeautera l’élaboration architecturale du REM de l’Est. « C’est un projet signature, c’est un projet qui va être, à travers le monde, reconnu comme un projet bien intégré, bien fait, avec une signature architecturale », a-t-elle lancé en réponse à des députés libéraux à l’Assemblée nationale.
Les six scénarios souterrains au centre-ville
En février, la Caisse a révélé les six scénarios souterrains que ses équipes avaient étudiés au centre-ville. Chaque fois, des obstacles « bloquants » se posaient, d’après l’organisation.
1. Un tunnel profond sur l’axe Notre-Dame, qui commencerait à l’est du pont Jacques-Cartier. Cela forcerait l’élimination de la station Dufresne, dans le Centre-Sud, en plus de se heurter à de lourds obstacles.
2. Un tunnel profond sur l’axe Notre-Dame, à partir de l’est des voies du Canadian Pacifique (CP). Cela sauverait la station Dufresne, mais l’excavation sous les rails serait difficile, puisqu’elles sont situées sur un sol meuble, près du fleuve.
3. Un tunnel court sur l’axe René-Lévesque, entre les deux lignes de métro. Cela créerait toutefois une infrastructure infranchissable de 500 mètres, la distance nécessaire pour que le rail passe des airs à la terre.
4. Un tunnel qui passerait sous la rue Saint-Antoine, en croisant la ligne jaune du métro. La manœuvre serait toutefois ardue en raison de l’épaisseur de la couche de roc qui s’y trouve.
5. Un tunnel sur l’axe Viger, qui se dirigerait vers le nord et l’axe René-Lévesque. Or, la structure se buterait aux installations souterraines du centre-ville.
6. Un tunnel au niveau de l’autoroute 720. Selon la Caisse, cette option forcerait une réduction importante de la capacité de cette artère, en plus de mener au sacrifice de la station Cartier.
Les prochaines étapes du projet
Mai 2021
Avis de projet au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC)
Juin 2021
Consultations publiques en ligne du MELCC
Fin 2021
Dépôt de l’Étude d’impact sur l’environnement au MELCC
Début 2022
Audiences publiques du BAPE
2022
Émission du décret environnemental
2023
Début des travaux
2029
Mise en service
REM de l'Est | CDPQ promet une architecture « complètement différente » - La Presse
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