Alors qu’elle prenait acte du projet de loi déposé mardi à Ottawa, l’Association des employeurs maritimes (AEM) affirmait que sa priorité demeurait « la conclusion d’une entente négociée ».
De son côté, le Syndicat des débardeurs dénonce ce coup de force, qui raccourcit singulièrement son levier de négociation.
Une négociation qui stagnait depuis des mois, pourtant.
« C’est le résultat d’une négociation de positionnement qui a duré deux ans et demi », constate Jean-Claude Bernatchez, professeur titulaire de relations industrielles à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Chacun campe encore sur sa position, immobilisé à sa bitte d’amarrage.
« Au niveau des stratégies de pouvoir, actuellement, chaque partie pense qu’elle peut agenouiller l’autre. »
L’enjeu
La rémunération n’est pas en cause. Du moins pas directement.
Au fil des ans, la convention collective a garanti un emploi à 80 % des débardeurs, dans un contexte de grande variabilité dans les activités portuaires.
« S’il y a moins de marchandises à manutentionner, on va se retrouver avec des débardeurs payés à domicile, décrit le professeur. Pourquoi ? Parce qu’ils ont la sécurité d’emploi et que l’employeur, pour plusieurs raisons, ne peut pas les resituer ailleurs dans le port. »
Lorsqu’un surcroît de navires se présente au port, il faut faire appel aux heures supplémentaires ou atypiques, payées à temps et demi le soir et à temps double la nuit et les fins de semaine.
« L’employeur dit que ça n’a pas d’allure et qu’il faut revenir au principe du temps travaillé, temps payé. Les débardeurs vont répliquer qu’en effet, ils peuvent être payés à domicile, mais ce n’est pas généralisé et c’est parce qu’ils sont disponibles 19 jours sur 21. »
Un échec sur tous les plans
Les négociations ont jusqu’à présent failli sur tous les plans.
« Au niveau des stratégies argumentatives, il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné, parce qu’ils n’ont pas réussi à se convaincre ni l’un ni l’autre », relève Jean-Claude Bernatchez.
Peut-être parce que les relations personnelles ont fait défaut…
En Martin Tessier, président de l’AEM, et Michel Murray, conseiller syndical, « on a deux personnes de qualité qui, pour différentes raisons, ne réussissent pas à fonctionner ensemble ».
À l’automne 2020, ils étaient pourtant revenus radieux de la réunion convoquée par la ministre canadienne du Travail, qui avait donné lieu à la trêve qui vient d’être rompue.
« Ils sont sortis de là transformés. Mais la transformation n’a pas duré. Après sept mois de trêve, il n’y a rien qui marche et ils ne sont même pas capables de nous dire qu’ils se sont entendus sur quoi que ce soit. »
Sur le terrain de l’information, « chacun essaie de gagner l’opinion publique », souligne-t-il encore.
Le 29 mars, dans des publicités placées dans les grands quotidiens, l’AEM avait révélé qu’elle proposait cinq journées de congé de fin de semaine additionnelles, la possibilité d’échanger des quarts de travail et la création de postes à horaire fixe.
Le syndicat avait répliqué que cette campagne visait à « convaincre l’opinion publique que les débardeurs sont des méchants ».
Les parties se sont enfermées dans une stratégie du désespoir, assène le spécialiste des relations industrielles, qui suit le conflit depuis ses débuts.
Le syndicat « n’a pas été en mesure, pour différentes raisons, de s’insérer dans une négociation basée sur les intérêts communs, avec processus de solution de problème », énonce-t-il.
« Du côté de l’employeur, ils se disent probablement que ça fait deux ans et demi qu’ils essaient d’expliquer leur affaire au syndicat et qu’ils ont plus de chances de passer ça en preuve devant un arbitre. »
Il ajoute cependant que la pandémie n’a pas aidé. La distanciation, les visioconférences et les masques ont « détruit tout le tissu informel en relations de travail », si important en négociation.
Pourquoi pas quelques visites ?
Pour secouer quelques puces, Jean-Claude Bernatchez avance, à moitié à la blague, que le ministère du Travail aurait pu inviter les parties à visiter deux ou trois ports modernes, « qui se sont améliorés sur le plan technologique, qui ont des organisations du travail qui fonctionnent ».
Une telle visite aurait fait « comprendre à tout le monde que lorsque ça fait 50 ans qu’un système de relations de travail est en place, ça a besoin d’être rénové ».
Le recours à une loi spéciale est un échec, constate-t-il, « mais c’est un échec après deux ans et demi de négociations ».
C’est une issue qui déplaît profondément aux débardeurs.
Mais il ajoute à leur endroit une petite note positive.
« Les conditions de travail qui proviennent de l’arbitrage au Canada sont en général de bonnes conditions de travail. »
Débardeurs et employeur | Pourquoi les négos n'arrivent-elles pas à bon port ? - La Presse
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