La Caisse de dépôt et placement du Québec devra payer 768 000 $ en bonis à l’ancien patron de sa filiale Otéra Capital, sur les 8,4 millions qu’il réclamait au total en indemnités et dommages. Mais le juge a tranché : ses graves entorses à l’éthique justifiaient son congédiement sans préavis.
Dans le cadre d’une enquête interne, Alfonso Graceffa a reconnu avoir reçu 15 000 $ en liquide d’un individu ayant des antécédents criminels de trafic de drogue, dans les bureaux mêmes de la Caisse, en 2017.
Le numéro un de la filiale de prêts immobiliers s’était retiré de ses fonctions dans la foulée d’une enquête du Journal de Montréal sur ses conflits d’intérêts et des liens d’autres dirigeants avec le crime organisé.
Le fait par le plus haut dirigeant d’une filiale de la Caisse d’accepter une enveloppe remplie de milliers de dollars en argent comptant soulève des préoccupations manifestes d’irrégularités, de malversations et même de blanchiment d’argent.
Le juge Andres Garin
« Ce manquement aux obligations de Graceffa a irrémédiablement rompu la relation de confiance entre [la Caisse] et Graceffa et constitue un motif sérieux justifiant son congédiement sans préavis », conclut-il.
Le magistrat refuse donc à l’ex-haut dirigeant de la Caisse presque toutes les sommes qu’il réclamait : 5,5 millions en indemnités et près de trois millions en bonis et dommages.
Les 768 000 $ en bonis qu’il accorde à Graceffa lui étaient dus avant son congédiement définitif – la Caisse doit donc les lui payer, tranche-t-il cependant.
Joint par La Presse, Alfonso Graceffa explique être « en réflexion » quant à la possibilité de faire appel. « Tout est possible, mais je préfère ne pas faire de commentaires », dit-il.
La Caisse se réjouit que le juge ait reconnu les « motifs sérieux » invoqués pour son congédiement, dit sa porte-parole, Kate Monfette. « Nous sommes également satisfaits que la Cour ait confirmé qu’aucune indemnité de départ n’était payable à M. Graceffa dans les circonstances. »
« Recouvrement de dette »
Dans sa décision, le juge Garin rappelle comment l’ancien patron d’Otéra a fait du « recouvrement de dette » pour une entreprise qu’il exploitait avec son frère, Construction Sainte-Gabrielle.
L’individu au passé criminel lui ayant remis les 15 000 $, Jean-Denis Lamontagne, n’avait aucun revenu déclaré et n’était toujours pas libéré d’une faillite, selon une note qui lui avait été remise, mais que Graceffa dit ne pas avoir lue.
L’ex-PDG n’avait pas déclaré son travail pour Sainte-Gabrielle à son employeur, ce qui contribue aussi à justifier son renvoi, selon le juge.
« Conflits d’intérêts »
La cour retient aussi contre Graceffa son omission de déclarer à la Caisse l’ampleur de ses relations avec son « ami et partenaire » Thomas Marcantonio, avec qui il détenait des immeubles.
En plus de faire des affaires avec le patron, cet investisseur immobilier et courtier hypothécaire était à la fois client et fournisseur de la Caisse.
Marcantonio a emprunté de l’argent à la filiale Otéra pour financer certains de ses projets, comme le Quartier St-Jean, résidence pour personnes âgées dont son entreprise est partenaire. Il a aussi refilé des occasions d’affaires à Otéra en tant que courtier hypothécaire : des prêts que la filiale de la Caisse accordait à ses clients, comme une banque.
Graceffa avait déclaré ses relations avec ce client et fournisseur, mais il n’avait pas tout dit : le PDG d’Otéra faisait lui-même du prêt privé avec son propre argent à des clients du courtier Marcantonio.
Graceffa a ainsi accordé des millions en prêts sans en glisser un mot à la Caisse, selon l’interrogatoire hors cour déposé en preuve.
En mai 2019, le PDG de la Caisse, Michael Sabia, conviait les médias à une conférence de presse. Il présentait alors un « sommaire » des conclusions de son enquête indépendante, réalisée au coût de cinq millions de dollars, selon lui.
Sans nommer quiconque, la Caisse déplorait alors des « manquements sérieux et inacceptables » chez Otéra et annonçait que quatre personnes avaient quitté l’organisation. Un communiqué publié cette journée-là évoquait plusieurs des faits que le juge a retenus contre Graceffa, mais sans le nommer.
La Caisse publiait ensuite un autre communiqué expliquant que trois personnes, dont Graceffa, n’avaient « plus de lien d’emploi avec la société ». Bref, l’ex-PDG ne réintégrerait pas ses fonctions.
Selon le juge Andres Garin, « il ne fait aucun doute que [ses] déclarations publiques sur le rapport de l’enquêteur et la fin d’emploi de Graceffa l’ont discrédité ». « Toutefois, en faisant ces déclarations, [la Caisse] n’a pas commis de faute civile », précise-t-il.
Enquête journalistique
En 2019, Le Journal de Montréal avait déclenché un véritable branle-bas de combat à la Caisse en révélant des liens mafieux entre des dirigeants de l’organisation et une série de conflits d’intérêts du PDG de la filiale de prêts immobiliers, Alfonso Graceffa.
Le quotidien expliquait notamment qu’Otéra avait prêté 44 millions à Quartier St-Jean, une société dont une entreprise de son partenaire Marcantonio était commanditaire.
Québecor mentionnait aussi qu’une filiale d’Otéra, la Société financière MCAP, avait accordé pour plus de neuf millions en prêts à des entreprises immobilières de Graceffa et Marcantonio.
À la suite de questions du Journal de Montréal et avant même la publication du premier article, la Caisse avait déclenché une vaste enquête interne, confiée au cabinet d’avocats Osler.
Deux jours après le début des révélations, la Caisse annonçait que Graceffa se retirait pendant l’enquête indépendante « de toutes ses fonctions dans les filiales immobilières de la Caisse ». Il quittait donc non seulement Otéra, mais aussi Ivanhoé-Cambridge, dont il était chef des unités d’affaires. Il n’est finalement jamais revenu.
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- 28,9 milliards
- Valeur du portefeuille de prêts immobiliers d’Otéra Capital, au 31 décembre 2022
Source : oteracapital.com -
Poursuite de 8,4 millions | La Caisse l'emporte contre un de ses anciens hauts dirigeants - La Presse
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