« Il y a 15 ans, je suppliais presque l’employeur de donner une chance à mon client », lance Marussia Paradis, conseillère en développement stratégique chez SPHERE, un service qui favorise l’intégration à l’emploi.
Depuis, elle a vu un changement de mentalité certain. Puis, cette récente pression amenée par la pénurie d’employés.
Alors que de nombreux employeurs étaient jadis plutôt attirés par les subventions à l’emploi, maintenant, l’intérêt de l’inclusion est réel, dit Marussia Paradis. Peut-être motivé par la pénurie de main-d’œuvre, mais bien réel.
« Il était temps », lance Stéphane Thériault, directeur général du Conseil québécois des entreprises adaptées, qui regrette un peu qu’il ait fallu une situation aussi critique pour que les choses bougent.
« On aurait souhaité probablement, comme société, que ça arrive avant ça », dit-il.
Je pense tout de même que l’on se doit d’applaudir les entreprises privées, car elles sont de plus en plus ouvertes à s’adapter, à recevoir des travailleurs avec limitation. On le voit partout au Québec et c’est une bonne nouvelle.
Stéphane Thériault, directeur général du Conseil québécois des entreprises adaptées
Les employeurs savent aussi que c’est un message positif envoyé aux autres employés d’avoir une équipe diversifiée, dit Marussia Paradis, qui note que la situation actuelle apporte un défi unique : l’urgence.
« Les entrepreneurs qui veulent de la main-d’œuvre en ont besoin pour hier », dit-elle.
SPHERE gère des subventions, par exemple dans le cas d’un manque à gagner du salaire d’un employé, ou de l’encadrement, tel un interprète pour une personne sourde.
« La pénurie de main-d’œuvre incite les employeurs à plus d’ouverture, observe Laurence Marin, directrice générale du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées (ROSEPH). Avant, ils recrutaient le même type de profil, qui n’est plus disponible. Ça les contraint à regarder des profils différents. »
La tolérance comme dénominateur commun
« Ça prend vraiment de la précision », explique Nicolas Lamanque, rencontré chez Axia, où il travaille depuis cinq ans. Ça tombe bien, car il n’en manque pas.
Nicolas Lamanque est autiste de haut niveau, ce qui entraîne des problèmes de langage. Ceux-ci sont indétectables, même après une entrevue d’une bonne dizaine de minutes. De son propre aveu, il a une mémoire exceptionnelle et une minutie qui le sert bien dans son travail d’étiquetage.
Axia est une entreprise adaptée. Autour de 90 % des employés ont des limitations, souvent invisibles au premier regard des autres.
« Tout le monde a quelque chose ici, à part les hauts dirigeants qui sont neurotypiques, explique Nicolas Lamanque. C’est beaucoup lié à la santé mentale : schizophrénie, bipolarité, autisme, troubles de déficit de l’attention, déficience intellectuelle. Tout ça est regroupé dans un melting pot et tout le monde a sa place ici. Avec ses besoins et ses capacités. »
Et vous cohabitez bien ?
« Oui. Le respect est dans nos valeurs. »
Aux locaux de Laval d’Axia, on fait de l’emballage de produits qui ne cadrent pas dans une chaîne de montage standard. L’entreprise fait de la sous-traitance. Le fait qu’elle soit un organisme à but non lucratif (OBNL) rend ses tarifs attractifs auprès de sa clientèle, qui sait que le travail prend parfois plus de temps que s’il était fait dans une entreprise standard.
Ce qu’Axia n’est pas. Sur plusieurs plans.
« Ici, on est beaucoup dans la formation, dans la communication, explique Pauline Picotin, directrice générale d’Axia. On a une formation sur la tolérance aux handicaps qui permet de comprendre que ton voisin a un autre type de handicap ou de limitation. »
L’immense avantage pour une personne handicapée qui travaille dans un milieu adapté digne de ce nom, comme Axia, est cet accompagnement extraordinaire.
La formation offerte favorise aussi l’épanouissement des employés. Ils participent notamment à des ateliers de développement socioprofessionnel.
« Les employés sont reconnaissants d’avoir un emploi qui leur permet de se développer », précise Pauline Picotin.
Conséquemment, une partie de la main-d’œuvre quitte chaque année l’OBNL pour aller retrouver le marché du travail dit régulier. « On favorise ça, dit la directrice d’Axia. Ils ont le droit d’essayer le marché régulier. Ça fait partie du programme. Certains reviennent. »
L’encadrement nécessaire
Il faut toutefois s’assurer que les personnes handicapées qui commencent un nouvel emploi aient des conditions gagnantes, comme tous les employés.
« Les entreprises régulières ne sont pas toutes adaptées pour accueillir ce type de main-d’œuvre », dit Pauline Picotin. Sa crainte : que l’on veuille aller trop vite, au nom de l’inclusion, sans s’assurer de bien faire les choses.
Je suis contente quand je vais dans un marché régulier et que je vois un employé avec des limitations. Je me dis qu’on est plus inclusif. Mais il nous reste néanmoins beaucoup de chemin à faire.
Pauline Picotin, directrice générale d’Axia
Certaines personnes ont besoin du contexte d’une entreprise adaptée, estime également Laurence Marin, directrice générale du ROSEPH.
« Mais je trouve ça formidable que la personne puisse choisir où elle veut aller travailler, dit-elle. Si, aujourd’hui, le marché régulier lui ouvre ses portes, c’est une bonne chose. »
Manque de données et manque de représentation
Il y a peu de chiffres qui permettent de bien évaluer la situation d’emploi des personnes handicapées, déplore Laurence Marin, aussi présidente du Comité consultatif personnes handicapées, qui est sous l’égide du ministère de l’Emploi.
« On manque cruellement de statistiques pour faire le portrait des personnes handicapées sur le marché de l’emploi », dit-elle. Une des raisons pouvant compliquer ces compilations est le fait qu’une partie des employés handicapés n’appartiennent à aucun regroupement et ne déclarent pas leur condition.
Le Comité a toutefois ciblé des clientèles qui sont encore sous-représentées sur le marché de l’emploi. Les personnes handicapées en font partie.
L’inclusion comme facteur de rétention
Une culture inclusive et diversifiée favorise la productivité et l’innovation, maintient Samantha Welscheid, qui est cheffe de la culture et des ressources humaines pour le Québec et la région de la Capitale-Nationale chez Deloitte.
C’est clair qu’avoir une main-d’œuvre diversifiée, que ça soit quelqu’un qui vit avec un handicap ou qui a une couleur de peau différente, ça nous rend tous meilleurs. Dans tout. Avec nos clients, dans le sentiment d’appartenance à l’interne.
Samantha Welscheid, cheffe de la culture et des ressources humaines pour le Québec et la région de la Capitale-Nationale chez Deloitte
De plus, quelqu’un de différent va inévitablement avoir un point de vue différent, dit-elle.
« Plus on a de diversité, mieux l’entreprise va s’adapter aux changements », poursuit Samatha Welscheid.
Selon elle, l’inclusion permet le sentiment d’appartenance généralisé au sein d’une entreprise et les gens sont plus enclins à y rester. D’après une étude de 2021 publiée dans le Harvard Business Review, les employés sont 12 fois plus susceptibles de demeurer au sein d’une entreprise vue comme inclusive, cite-t-elle.
Les personnes handicapées sont toutefois parfois exclues de la diversité.
« Même en ce moment, on doit redoubler d’efforts pour que notre clientèle de personnes handicapées ne soit pas oubliée dans le grand chapeau de la diversité, dit Laurence Marin, qui voit tout de même plus d’ouverture.
« La pénurie de main-d’œuvre oblige des employeurs à assouplir des critères et à ajuster leur processus de recrutement, dit-elle. Ça profite à notre clientèle. Je le vois d’un angle très positif. »
En savoir plus
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- 59 %
- Seulement 59 % des personnes handicapées occupent un emploi, contrairement à 80 % des personnes vivant sans situation handicapante.
SOURCE : Étude canadienne sur l’incapacité, 2017 -
Pénurie de main-d'œuvre | Quand inclusion rime avec solution - La Presse
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