La Caisse de dépôt et placement entend appuyer à fond sur la pédale d’accélérateur pour accroître ses investissements au Québec. L’institution annoncera lundi une nouvelle cible de 100 milliards de dollars en actifs québécois pour 2026, ce qui représenterait une hausse de plus du quart par rapport à aujourd’hui.
Construction de résidences étudiantes et de logements locatifs, investissements dans des tours de télécommunications, injection de capitaux dans des entreprises d’ici qui veulent acheter à l’étranger : la Caisse envisage plusieurs avenues pour atteindre cet objectif.
« Ce n’est pas un chiffre que je sors de mon chapeau comme ça : ça vient de notre planification stratégique », a assuré en entrevue à La Presse Charles Emond, son président et chef de la direction, qui exposait pour la première fois cette nouvelle cible.
Cette annonce survient alors que la présence de la Caisse dans l’économie du Québec est plus que jamais scrutée à la loupe. Le gestionnaire de fonds de retraite a essuyé des critiques ces derniers temps en raison de la baisse du nombre d’entreprises québécoises dans lesquelles il détient une participation directe ou indirecte. Leur nombre a glissé de 756 à 548 depuis quatre ans.
Le poids relatif des investissements détenus par la Caisse au Québec — 78 milliards — a aussi fléchi par rapport à ses actifs totaux, qui s’élevaient à 392 milliards au 30 juin. Rien n’est faux dans ces chiffres, reconnaît Charles Emond. Mais il estime que d’autres indicateurs permettent de mesurer de façon bien plus concrète la contribution réelle de l’institution à l’économie de la province.
« L’actif de la Caisse par rapport à l’économie, il y a 10 ans, c’était 60 $ par tranche de 1000 $ de produit intérieur brut (PIB), et ce chiffre, il a doublé, souligne-t-il. C’est rendu à 120 $ par tranche de 1000 $ de PIB. »
Des télécoms pour CDPQ Infra
Aucun autre gestionnaire de fonds de retraite ailleurs dans le monde n’investit autant dans son économie locale, fait valoir son dirigeant. Et pour accélérer la cadence d’ici à 2026, la Caisse misera en priorité sur deux classes d’actifs bien tangibles : les infrastructures et l’immobilier. Plusieurs nouveaux secteurs sont à l’étude, confie Charles Emond.
Pour moi, la définition de l’infrastructure, c’est quelque chose qui vient changer la qualité de vie des gens, qui augmente la productivité et donc en ce sens-là, l’infrastructure a une définition plus large que ce que les gens peuvent parfois s’imaginer.
Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement
Le mandat de sa filiale CDPQ Infra, connue pour son projet du Réseau express métropolitain (REM), pourrait être élargi pour inclure des projets d’autoroutes et de télécommunications, notamment. « Les tours de [téléphonie] cellulaire, il y a quelque chose à faire là, dit M. Emond. Ce sont des actifs, tu les loues et tu connectes les gens encore plus dans certaines régions. »
Charles Emond confirme que l’institution a toujours des discussions avec Québec en vue d’étudier différents projets d’infrastructures — notamment un lien de transport collectif au sud de Montréal.
« C’est un interlocuteur qui a de l’intérêt, le gouvernement du Québec, c’est sûr, parce que dans le fond, c’est comme le REM, s’il voit quelque chose où il pense qu’on peut être utile, on va le considérer, indique-t-il. Des grands projets qui vont amener le Québec ailleurs et où on peut obtenir un rendement qui est excellent pour nos déposants. »
Logements abordables
Dans tous les cas, Charles Emond voit une interconnexion directe entre le segment des infrastructures et celui de l’immobilier. « L’immobilier suit l’infrastructure. Ça converge, ces deux choses-là. »
Par exemple, plus de 5 milliards de dollars en projets immobiliers de toute nature ont déjà été construits par différents promoteurs autour des futures stations du REM depuis quatre ans, relève-t-il, pour un total de 20 millions de pieds carrés. La Caisse pensait que ce chiffre serait atteint en 10 ans.
L’institution pourrait élargir ses horizons en immobilier et investir davantage dans certains segments où elle est moins présente aujourd’hui au Québec avec sa filiale Ivanhoé Cambridge.
« On peut faire plein de sortes de choses au niveau des complexes multi-usages avec nos centres commerciaux, même faire des logements abordables avec une définition d’abordabilité où il y a un rendement à faire pour nous, explique Charles Emond. Les résidences étudiantes sont une classe d’actifs qui est extrêmement intéressante pour nous mondialement, mais Montréal, c’est aussi une ville universitaire extraordinaire. Est-ce qu’il y a un potentiel de projets signature ? »
350 acquisitions hors Québec
Si la perte de sièges sociaux québécois comme celui de Rona a fait la manchette ces dernières années, Charles Emond rappelle que de nombreuses entreprises québécoises ont aussi fait des emplettes à l’étranger. Des sociétés dont la Caisse est actionnaire, comme Demers Ambulance, CAE, Cogeco, KDC et Previan, ont ainsi réalisé 350 acquisitions hors de la province depuis cinq ans. Une par semaine, en moyenne.
« Les entreprises du Québec qui achètent des entreprises à l’international, ça, c’est le coup de circuit chaque fois, parce que tu coches plein de cases », dit-il.
L’entreprise ici se renforce. L’entreprise ici devient plus grosse, elle est plus difficile à avaler pour un concurrent un jour. Elle s’exporte à l’étranger. Tu exportes le Québec et tu importes les rendements.
Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement
La Caisse entend maintenir et même accroître autant que possible sa présence au capital de grandes et petites entreprises québécoises — une stratégie qui contribuera à les prémunir contre des tentatives de rachat étrangères, croit son président.
« Il ne faut pas oublier que parfois, la meilleure défensive, c’est l’offensive, dit-il. Quand la société performe bien, quand la société grossit, on va être là. Puis quand, dans le passé, il y a eu des situations plus délicates, par exemple quand SNC-Lavalin a vécu une période de grande vulnérabilité, alors encore là, on avait des choses à faire. On était là, on est resté présent. »
Vigie « détaillée » des sièges sociaux
Charles Emond révèle que les équipes de la Caisse mènent une « vigie extrêmement détaillée », avec un plan stratégique précis, pour protéger chaque siège social d’importance de Québec inc. Entre 75 et 100 entreprises se trouvent sur cette liste, a-t-on appris.
« On prévoit des années à l’avance quels sont les enjeux et on travaille déjà là-dessus avec des sociétés, explique-t-il. Est-ce que l’actionnariat est faible ? Est-ce que la performance est plus faible ? Est-ce que dans le secteur, il y a un joueur qui est en train d’émerger dans le monde qui est un acquéreur ? Est-ce qu’il y a des pilules empoisonnées ? Est-ce qu’il y a un régime de gouvernance ? »
La Caisse a par ailleurs adopté une nouvelle stratégie pour faire davantage de « maillages » entre des entreprises dans lesquelles elle détient une participation, souligne Charles Emond. L’institution a contribué à réaliser l’an dernier 40 de ces « ventes croisées », qui ont profité à certaines sociétés québécoises comme Lion Électrique et Plusgrade.
REM : les gens veulent « le voir »
Malgré les retards et certains dépassements de coûts, le président de la Caisse de dépôt se dit absolument fier du REM, un réseau de train léger automatisé de 67 kilomètres dont la première branche entre la Rive-Sud et le centre-ville doit entrer en service le printemps prochain. Charles Emond croit que l’opinion publique changera pour le mieux une fois que le service sera bel et bien lancé. « Je pense qu’il peut y avoir un pivot. Comme disait Yvon Deschamps, les gens ne veulent plus le savoir, ils veulent le voir, ils veulent le vivre. » Il assure par ailleurs n’entretenir aucune rancœur par rapport à la mort du « REM de l’Est », la deuxième phase du REM que le gouvernement du Québec avait demandé à la Caisse de développer. Québec a retiré le dossier des mains de l’institution en mai dernier en raison d’une opposition trop importante des citoyens et de la Ville de Montréal par rapport à certains aspects du tracé. « Il n’y a pas d’amertume. Ils ont décidé pour d’autres considérations qu’ils préféraient ne pas avoir la structure aérienne, et c’est vraiment leur prérogative. » La Caisse a reçu un chèque de 100 millions de Québec pour rembourser tout le travail de planification effectué par CDPQ Infra dans ce dossier.
Caisse de dépôt et placement | 100 milliards en actifs québécois d'ici 2026 - La Presse
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