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Sunday, November 13, 2022

Certification payante | Éclosions de cas frauduleux | La Presse - La Presse

Donald Trump qui avoue, dans un message provenant d’un compte certifié par Twitter, avoir perdu les élections en 2020. Lockheed Martin qui annonce qu’elle ne vendra plus d’armes à l’Arabie saoudite. Le compte apparemment officiel de Nintendo qui publie une image de Mario faisant un doigt d’honneur.

Publié hier à 5h00
Karim Benessaieh
Karim Benessaieh La Presse

Et Pepsi qui avoue tout bonnement que le Coke est meilleur.

Non, Twitter n’a pas été le théâtre d’une série d’aveux spectaculaires depuis jeudi. Il s’agit plutôt d’une débâcle inédite entourant l’introduction depuis le début de la semaine de la toute nouvelle certification « Twitter Blue », moussée par son nouveau propriétaire Elon Musk, qui offrait une validation à tout abonné Twitter prêt à payer 8 $ par mois. Cette certification était auparavant réservée à des personnalités, des représentants gouvernementaux, d’entreprises ou de médias dûment identifiés.

Le résultat depuis jeudi : des dizaines de cas constatés par La Presse, vraisemblablement bien plus au total, où des personnes ayant obtenu le badge officiel bleu coché ont ensuite modifié leur pseudonyme en ligne pour usurper celui de personnalités et d’entreprises.

Quelques tweets frauduleux depuis jeudi

Humains demandés

« Visiblement, c’est chaotique, résume Luc Dupont, professeur au département de communication à l’Université d’Ottawa. On a l’impression que ça s’est fait dans l’improvisation la plus totale. »

Il lie cette débâcle à l’annonce depuis deux semaines du licenciement de la moitié des 7500 employés de Twitter. « Ça nous rappelle qu’au pays des médias sociaux, les algorithmes ne peuvent pas tout faire. À cet égard, c’est rassurant : on est condamné à utiliser des êtres humains. »

Pendant deux jours, on a ainsi pu lire le premier ministre de l’Ontario Doug Ford demandant de ne pas amener d’enfants malades près de chez lui, l’attaquant vedette des Oilers d’Edmonton Connor McDavid annonçant son échange et Nestlé narguant ses clients en ces termes : « Nous volons votre eau puis nous vous la revendons LOL. »

Twitter Blue retiré

Presque tous ces comptes frauduleux ont été désactivés par Twitter ce vendredi, ce qui a semblé freiner l’hémorragie. Avant cela, ces messages avaient été retweetés par des centaines de milliers de personnes et l’un d’entre eux, au moins, a entraîné des pertes de valeur boursière de plusieurs milliards, quand un compte parodique de la pharmaceutique Eli Lilly and Company a annoncé qu’elle offrait l’insuline gratuitement. L’action de l’entreprise, dont la valorisation boursière est de 334,1 milliards US, a chuté de 4,4 % vendredi.

Devant cette catastrophe, Twitter a retiré en début de journée vendredi sa nouvelle certification Twitter Blue. Des usagers ont également rapporté qu’il n’était plus possible de modifier son pseudonyme Twitter. Dans un mémo interne obtenu par un éditeur du site Platformer, le réseau social a expliqué suspendre Twitter Blue « pour travailler à résoudre des problèmes d’usurpation ».

CAPTURE D’ÉCRAN

L’inscription à Twitter Blue a été désactivée en fin de matinée vendredi.

Le propriétaire de Twitter depuis le 28 octobre dernier, Elon Musk, a ouvertement nargué ses détracteurs sur son compte. « L’immense ironie de la situation est que les médias écrivant sans arrêt à propos de mes échecs et de ceux de Twitter engendrent une croissance massive sur Twitter ! »

CAPTURE D’ÉCRAN

Ce tweet a été retiré moins d’une heure après sa publication.

Coup marketing

Plus tôt, il avait repris ses piques habituelles contre l’« élite médiatique » qui craint l’arrivée du « journalisme citoyen ». Il avait également prévenu les coups : « Notez que Twitter va faire beaucoup de choses stupides dans les prochains mois. Nous allons conserver ce qui fonctionne et changer ce qui ne fonctionne pas. »

Pour Laurence Grondin-Robillard, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chargée de cours à l’École des médias, il est difficile de croire que l’homme le plus riche de la planète, qui s’est révélé un homme d’affaires avisé, ait à ce point perdu la touche. « On sent que ça ne se peut pas, avec toute l’intelligence que je pense qu’il a et que je lui prête. » Sa théorie : Elon Musk fait tout pour attirer l’attention sur Twitter, suscitant plus d’interactions que jamais sur le réseau social — ce dont il s’est d’ailleurs réjoui, assurant jeudi soir avoir atteint « un sommet de tous les temps du nombre d’utilisateurs actifs ».

« Il a dit qu’il voulait faire de Twitter la source d’informations la plus fiable, et nous, on est en train de perdre notre temps à regarder ce qu’il fait, analyse Mme Grondin-Robillard. En vous faisant écrire là-dessus davantage, il concentre toute votre attention, les journalistes. Lui, il est en train de gagner. »

En manque de repères

Son autre hypothèse moins sérieuse, lance-t-elle en riant, est qu’Elon Musk est conscient que Twitter va couler et s’en amuse. « Au prix qu’il l’a payé, tant qu’à faire un drame, autant que ce soit tout un drame, un sabotage spectaculaire ! »

Des centaines d’entreprises et d’agences ont déjà annoncé avoir mis un frein temporaire à leur placement publicitaire sur Twitter. La dernière tuile est tombée vendredi en fin d’après-midi, quand Omnicom, qui représente notamment MacDonald’s, Apple et PepsiCo, a recommandé une « pause » des achats publicitaires, selon une note interne obtenue par le site The Verge.

Bernard Motulsky, professeur au département de communication publique et sociale de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime plausible que Musk ait tout simplement perdu ses repères. « Il a créé beaucoup d’entreprises qui ont en commun un succès phénoménal, mais là, Twitter n’est pas une entreprise qu’il a bâtie. C’est très différent de bâtir en choisissant comment on fait les choses, qui on met en place, plutôt que de prendre une entreprise qui fonctionne et qui est déjà énorme. »

Il note lui aussi qu’il est très difficile de suivre ce qui se passe chez Twitter, entre le psychodrame de l’acquisition annulée puis réalisée, le licenciement de la moitié du personnel et les promesses de ramener la liberté de parole.

« Ça part dans tous les sens, c’est affolant. Mais ce n’est pas une industrie qui est très encadrée sur le plan juridique, c’est un peu le Far West. On est vraiment en mode essais-erreurs. »

En savoir plus

  • 5,7 milliards US
    Revenus de Twitter en 2021, générés à 90 % par la publicité
    Rapport financier 2021
    237,8 millions
    Nombre d’utilisateurs quotidiens « monétisables » au 2trimestre de 2022

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